Économie

Dans le budget, sauvons l'aide au tiers-monde

La Croix 13/9/1968

 

Lors des événements de juin, nous avons déjà exprimé la crainte que le règlement du surcroît de dépenses entraînées par eux amène une diminution de l'aide française au tiers-monde. Qu'en est-il finalement dans le projet que M. Ortoli nous présente ? Il faudra regarder de très près ce texte, car l'aide se répartit traditionnellement en des chapitres divers et se cache parfois sous des pseudonymes pour éviter des visions cartiéristes. Il le faudra d'autant plus que notre assistance s'est déjà fort amenuisée. Tour à tour, Marchés Tropicaux et les Echos viennent de nous rappeler que bien que l'aide de la France continue depuis sept ans à se situer aux alentours de 4 200 millions de francs, « si on combine le taux de croissance de l'économie française pendant ce septennat à celui de l'évasion monétaire, la part de l'assistance de notre pays, qui représentait 1,4% du produit national brut au début de la décennie, se trouve ramenée à 0,8% en 1967 ». et Marchés Tropicaux poursuit : « Bien plus, si on compare le montant de l'aide extérieure au budget de l’État, on constate que le concours de notre pays au tiers-monde n'a représenté que 3,5% des crédits publics contre 7% sept années auparavant, soit une diminution de moitié en pourcentage. »

Que deviendra cette aide en 1969 ? pour ma part, insuffisamment entraîné à explorer les labyrinthes où se complaisent nos fonctionnaires des finances, je suis peu apte à le déceler. Je souhaite que de meilleurs experts s'y emploient. Je voudrais surtout que députés et sénateurs ne se laissent pas aller à rogner cette catégorie de crédits, pour permettre d'autres dépenses que réclament leurs électeurs. De fortes pressions vont s'exercer sur eux. Ne pouvons-nous les mettre en garde ? Il en va de l'honneur de la France que nous continuions de tenir la tête des pays qui participent au développement, surtout après les solennels déclarations de M. Debré, alors ministre des Finances, à l'Assemblée de la CNUCED au mois de février. Au surplus, faisant sentir cette exigence, nous ne serons que fidèles aux consignes de Paul VI, une fois de plus répétées en ses discours de Bogota.

L'honneur de la France, disais-je, mais aussi l'intérêt de la paix. Les chefs d’État africains ont adressé au général de Gaulle, dans de récentes rencontres, des appels angoissés. Certes, ils intervenaient, et c'était leur devoir, pour les intérêts immédiats de leurs propres peuples. On se demande en effet ce que deviendrait même un pays en plein essor comme la Côte-d'Ivoire ou le Cameroun, si on cessait de la soutenir. Nous ne pourrions même compter, pour suppléer à notre carence, sur le relais d'une assistance européenne. Les discussions autour du renouvellement de la Convention de Yaoundé ne nous permettent pas de nourrir l'espoir d'un effort accru de la CEE. On parle comme d'une panacée d'une augmentation des investissements privés. Malheureusement, ceux-ci fuient les pays les plus déshérités et ne se manifestent que lorsqu'un début de prospérité garantit leur rentabilité. Nous ne pouvons guère le leur reprocher : le premier devoir d'un investisseur consiste à ne pas se mettre en faillite. En outre, dans le tiers-monde, les risques politiques apparaissent de plus en plus fréquents. Or, un investisseur privé ne peut affronter cette catégorie de risques sans des garanties que notre ministère des Finances s'obstine à ne pas vouloir accorder. Mais en lançant leurs appels, les chefs de l'Afrique plaidaient avant tout pour la paix, car ils savent que dans leur continent si fragile, battu par les coups d’État, menacé de dissensions tribales, troublé par le pullulement de faubourgs faméliques, si cesse l'aide extérieure, les désordres se multiplieront. Craignons la contagion de guerres aussi abominables qu'au Biafra.